Ne pas rendre le mal pour le mal
(Chapitre 4 )
Le cloître n'est ni un paradis ni une jungle.
Saint Benoît qui connaît l'homme sait très bien que le moine n'est, non plus que les autres, ange ni bête.
Il sait que le cœur de tout homme est facilement vulnérable et pusillanime, que son amour est délicat et susceptible, à la merci quelquefois d'un simple mot malheureux du prochain, d'une rebuffade ou d'une passagère humeur.
Celui-là qui ferme alors son cœur se venge. Il ne pardonne pas. Il rend le mal pour le mal.
Chaque homme est pour son frère un bourreau, mais aussi son bienfaiteur, ou une victime. mais aussi son obligé.
Nous sommes injustes si, dans le moment où nous adviennent un désagrément, une contrariété, voire une hostilité de la part de notre prochain, nous refusons de nous souvenir alors de tous ses bienfaits.
C'est justice aussi de se rendre compte que la blessure qui nous est faite est bien plus souvent maladresse que malveillance.
Et c'est justice encore de reconnaître tout le bien qu'il nous appartient de retirer de toute épreuve.
Dans la liberté de notre cœur, il dépend toujours de nous en définitive que le prochain nous ait fait réellement du bien ou du mal.
Le pécheur qui se connaît considère que la justice à son égard est de subir toute injustice dans le sillage de son Seigneur, et cela d'autant plus que le Seigneur, lui, étant juste, a enduré toute injustice à notre place.
L'injustice est, en ce sens, le partage naturel et équitable de tout pécheur sur cette terre. Ou plutôt le pécheur lucide saura toujours voir dans l'injustice subie et au-delà d'elle sa plus essentielle et réelle valeur de justice profonde.
C'est en luttant d'abord en lui contre le péché qu'il sait combattre à leur source et plus que personne toutes les injustices de ce monde.
La grâce insigne de celui-là seul qui ne reçoit rien finalement comme indû et injuste, mais accepte tout avec le Christ comme dû et justice, c'est la paix du cœur.
Les offenses d'autrui placent toute âme au carrefour principal de la sainteté. L'offensé voit s'ouvrir devant lui à la fois le chemin trop humain de la rancune amère et le chemin divin du doux pardon.
Mais l'enjeu du pardon d'autrui est notre propre pardon. Nous savons que, si nous refusons d'user avec le prochain de la mesure même de Dieu, il sera usé avec nous par Dieu de notre propre mesure (Mt 18, 35 ; Lc 6, 38).
Le moine sait qu'en refusant de pardonner il refuse d'être pardonné,
en refusant d'aimer il refuse d'être aimé.
Qui rend le mal pour le mal se fait à soi-même le plus grand mal.