Si un sentiment né de la grâce divine nous inspire de prolonger ...
(Chapitre 20)
Saint Benoît a treize chapitres sur l'Office, aucun sur l'oraison. Mais la règle entière stimule le moine à l'exercice incessant de la présence divine.
La liturgie ne tient pas plus lieu d'oraison que l'oraison ne remplace la liturgie. La liturgie est le moyen privilégié du don de Dieu et du don de nous-mêmes, le lieu de la rencontre. Mais l'oraison prépare ce don mutuel ou le prolonge, en donnant à l'âme le temps et la liberté pour connaître, comme à loisir, qui l'on reçoit, ce qu'on donne et à qui l'on donne.
Une liturgie vécue appelle donc l'oraison en avant comme en arrière, et une oraison régulière.
Faire oraison, c'est entrer dans le monde intérieur et invisible des réalités de la foi. Et la première affirmation de la foi, c'est la réalité même de ce monde invisible. Le visible n'est que l'écorce, l'oraison pénètre jusqu'au cœur : elle fore dans l'épaisseur, elle fouille dans le mystère, elle avance à tâtons vers la plus vive conscience de la Présence divine.
Cette présence, c'est la grande réalité. L'oraison a pour but de nous situer par rapport à elle et à l'intérieur d'elle, de nous faire prendre exactement dans son champ notre place particulière. Il s'agit de passer de la périphérie bornée de ce monde à celui, central et infini, du surnaturel, de quitter le sommeil de notre âme ou son agitation dans la dispersion pour son éveil le plus aigu et le plus pacifiant dans la plus totale lumière.
Et cette présence du Seigneur n'est pas moins personnelle que la nôtre. Quand nous nous disposons à l'affronter, c'est pour la rencontre toute spéciale de notre personne avec la sienne. et cela jusqu'à la fusion. " Etre en sa présence ", signifie précisément qu'on s'enfonce et qu'on demeure effectivement en elle.
Chaque brebis a son nom propre devant le Pasteur. L'oraison est ce moment où l'âme s'entend appelée, elle, de son Seigneur, et s'écoute aimée de lui, pour elle-même, d'une manière absolument originale et supérieure. En réponse, chaque brebis dans l'oraison appelle son Pasteur à sa façon unique et personnelle, au point que le nom divin dans notre bouche ait pour Notre Seigneur une valeur, un cachet très particuliers.
L'oraison est cet échange d'appels où chacun verse, cristallise, condense dans le nom de " l'autre" toute la complaisance de son être profond.
Ainsi non seulement le Seigneur présent l'est en personne, comme en soi-même, mais il l'est pour nous-mêmes, avec le regard et la force d'un amour chaque fois unique, selon chacun et selon le moment. La rencontre de l'oraison est toujours nouvelle comme le contact de deux spontanéités, deux libertés, deux amours bien vivants, c'est-à-dire neufs chaque fois comme au premier jour.
Encore faut-il que notre amour dans l'oraison soit authentique. Le désir de savourer pour soi le Seigneur est à exclure comme mauvaise soif. L'égocentrisme peut jusque-là nous inciter à refermer les bras sur notre bien. Le crucifié aux bras fixés dans l'ouverture est le symbole de l'amour vrai.
L'amour vrai ne se complaît pas dans la possession, mais dans le don. Il s'agit moins de mettre Dieu de notre côté que de nous jeter nous-mêmes de son côté, de passer sans cesse de la complaisance en soi-même à la complaisance même de notre Père, de se donner jusqu'à se perdre - autant que possible - dans le Toi divin. La joie naît de ce don sans retour, tandis que le retour sur soi n'est que plaisir et perd l'amour.
Dans l'oraison comme dans la liturgie, le Seigneur se donne à nous en nourriture, mais c'est lui encore et par le fait même qui nous y absorbe. L'oraison est une communion spirituelle.