Ferveur

S'il cherche vraiment Dieu
(Chapitre 58)

 

Dès les abords du cloître souvent se dresse une devise : paix. Et l'hôte en général se sent vite immergé dans cette douce paix.

Pour saint Benoît en vérité, la paix n'est pas une atmosphère, une ambiance, un climat. Elle n'est pas un donné, mais un but ;
jamais conquise mais à chercher toujours.
Le prologue 1a définit en citant le psaume : " Evite le mal et fais le bien : recherche la paix et poursuis-la " (Ps 33, 15).

La stabilité du moine n'est pas une tranquil1ité, un repos, une paix de béatitude.
Saint Benoît demande au moine de courir. Il prône la ferveur et stigmatise la tiédeur. Les tièdes ont une fausse paix : leur vie est un conformisme, non un amour ; leur Dieu est une entité, non une personne.
La ferveur est de chercher Dieu.

Le chercheur de Dieu est un marcheur.
Chercher, c'est marcher. La marche est expressive de la vie et de la vie de foi. Elle est son meilleur symbo1e, son image.
Yahvé dit à Abraham : Marche, et Moïse est un conducteur.

Les discip1es du Maître doivent toujours le " suivre" car Jésus les précède toujours. Bien plus, il est le chemin même, le chemin qui n'a pas de fin.
Qui le suit d'emblée mais se réserve un moment peut perdre le chemin, car le Seigneur appelle et passe. Il s'agit d'être toujours prêt, jamais à l'arrêt, jamais satisfait.

En aucun point, la marche ne peut stopper : on ne se fixe pas sur un seul pied. L'équilibre de la marche est dans l'enchainement ininterrompu de successifs déséquilibres. Chaque point d'arrivée est aussitôt un point de départ.
" Marchez, dit Jésus. tant que vous avez la lumière ... Croyez en la lumière" (Jn 12, 35-36).
Le vrai croyant marche sans trêve jusqu'au sein du Père.

Le vrai croyant se sait marcheur et même mauvais marcheur. Il voit ouvert devant lui l'exigeant chemin.
Il a le sens de Dieu, du Dieu saint et inaccessible, du Dieu qui aime et qui attire.
Qui a le sens de Dieu a aussi le sens de sa faible foi. Seuls s'imaginent qu'ils ont une belle foi ceux qui n'ont pas le sens de Dieu.

Nous considérons trop souvent notre foi comme un capital, une propriété acquise et inaltérable. Nous sommes tentés d'immobilisme, tentés d'installation, tentés de suffisance.
La vraie foi n'est pas immobile mais progressante.
Le vrai croyant se sent riche de Dieu, mais pauvre de foi.

Car ce n'est pas Dieu qui nous manque, mais c'est nous qui manquons à Dieu.
Ce n'est pas Dieu qui se cache, mais nous qui sommes aveugles, pas Dieu qui se tait, mais nous qui sommes sourds.
L'homme dit volontiers. pour s'excuser de ne pas croire, que la foi est une grâce.
Mais au chercheur sincère, le Christ est déjà acquis. La grâce est toujours proche, toujours offerte.
Le vrai chercheur est celui qui accueille Dieu.

On suspecte le croyant. et le moine en particulier, de chercher Dieu dans les nuages, de ne penser qu'au ciel et d'oublier la terre.
Le chercheur de Dieu aime la terre. Il espère pour elle plus qu'aucun homme : l'avènement du Règne comme au ciel.
Il partage pour la terre la passion même du Christ.
Le chercheur de Dieu œuvre pour la terre.
Car la vraie foi n'est pas simple adhésion de l'esprit, égoïste parti pris d'intellectuel ou d'idéaliste : elle engage tout l'être du croyant, tout son travail, toute sa vie, pour le monde entier.
Le croyant n'a pas le sens de Dieu, qui ne vit pas pour cette terre en même temps que pour le Ciel, pour tous les hommes ses frères en même temps que pour son Dieu.