Honorer tous les hommes
(Chapitre 4)
Le recueillement n'exclut pas l'accueil. Au contraire, il le favorise en l'approfondissant.
L'hôte du cloître est reçu avec honneur "comme le Christ lui-même" (ch. 53).
Le moine qui passe incline la tête : en chaque homme il salue un frère.
Mais cette politesse n'est pas du monde, cette révérence pas obséquieuse. Saint Benoît bannit les mondanités.
La réserve du moine situe sa politesse en son vrai plan qui est surnaturel.
L'humaine cordialité n'en est pas exclue, mais illuminée.
Le moine doit cultiver, affiner patiemment en lui le sens de l'homme. Au contact de ses frères il se sensibilise à cette qualité humaine que le Christ, en la partageant, a sublimée et divinisée. Il s'applique jour après jour à honorer en chaque frère la créature qui, infiniment aimée du Seigneur, est par ce fait infiniment aimable.
Chaque homme a ses limites, et son entourage les connaît. Mais en son fond chacun demeure inconnaissable et illimité. Créé à l'image de Dieu, tout homme est, comme son modèle divin, une réalité infinie, un mystère insaisissable.
Les limites de nos proches sont trop souvent des obstacles pour notre cœur, des bornes pour notre charité.
Pourtant la charité pratique ne commence peut-être qu'avec le franchissement de ces obstacles, au-delà de la sympathie, de l'estime ou de l'admiration.
La prétention de bien connaître est un orgueil du jugement. Car le jugement de fond n'est pas de compétence humaine.
La vérité commande un prudent respect, une humble distance à l'égard des proches. La justice exige de ne pas juger.
La faiblesse du jugement chez l'homme est telle que non seulement il juge superficiellement, par incapacité radicale d'atteindre " l'autre" en sa profondeur essentielle, mais encore et surtout, parce qu'il est souvent incapable - sauf un très lucide et courageux effort - de remettre en question tous les préjugés qu'il a laissés presque inconsciemment se former en lui.
Le jugement de l'homme est téméraire.
La grandeur de notre cœur ne se mesure pas à la noblesse de nos idées communautaires, voire universelles, mais primordialcment au simple accueil de nos proches dans notre jugement.
Celui-là seul est véritablement ouvert à l'humanité entière qui sait inlassablement s'ouvrir et se rouvrir à tout son prochain. C'est cet accueil constant des proches qui pratique exclusivement sur le cœur de l'homme l'ouverture universelle à tous les frères séparés ou lointains.
Tout homme présente deux visages : un profil désavantageux, limité ou fermé sur la grimace de la nature, et un profil avantageux, ouvert ou susceptible d'ouverture sur la gr✠et la sainteté.
L'humanité voile souvent la sainteté au lieu de la dévoiler, la dissimule au lieu de l'assimiler et de la resplendir.
Seule a jamais été sainte et resplendissante totalement l'humanité du Seigneur Jésus et de Marie sa mère.
Mais en chaque homme, quel qu'il soit, la foi honore la vocation d'un saint.
En chacun, elle discerne et sonde le rayonnement de la gloire, l'honneur même de Dieu.