LE CULTE DE ST PHILIBERT
Curieusement, les moines de Jumièges ne réclamèrent pas le corps de leur fondateur, et Philibert demeura enseveli à Noirmoutier.
Vers 820, alors que les pirates normands commençaient à attaquer les côtes atlantiques, les moines se préparèrent un refuge sur le continent dans le domaine de Déas en Loire-Atlantique. Vers 830, ils prirent l'habitude d'y venir passer l'été, emportant avec eux ce qu'ils avaient de plus précieux : reliques et mobilier liturgique. Ils regagnaient l'île pour la mauvaise saison. Une enceinte fortifiée entourait le monastère, dont la défense fut organisée du consentement de l'empereur Louis le Pieux et avec le concours de la population de l'île.
En 836, fatigués de ces allées venues, les moines se fixèrent à Déas. Le sarcophage de marbre du fondateur y fut même transporté. Le voyage se fit en quatre étapes triomphales, racontées par un témoin oculaire, le moine Ermentaire, dans le Livre 1 des Miracles de St Philibert :
la première en bateau jusqu'à la côte le 7 juin, la seconde à l'Ampan les 8 et 9, puis à Paulx le 10, enfin le 11 à Déas. L'Abbé Hilbod fit faire des travaux pour agrandir l'église, car les pèlerins affluaient pour recevoir grâces et guérisons. Ermentaire nous dit que "l'on vit affluer tous les infirmes du pays, les uns sur un pied, les autres s'appuyant sur des béquilles ou des bâtons, d'autres à cloche-pied, certains traînés dans des chariots, dans des paniers, dans des chaises à porteurs, sur des brancards. On voyait également arriver sur la route des muets, des sourds, des aveugles, des infirmes de toute espèce. Demandant avec foi la santé, ils obtenaient la guérison de leurs maux". Selon l'hagiographe, on venait de toutes parts, nous seulement des environs de Nantes, mais de la région de Rennes, du Poitou, de la Touraine, de l'Anjou et de la future Normandie.
Mais, dès 840, les Normands s'infiltrant de plus en plus loin à l'intérieur des terres, Déas n'offrait plus de refuge assez sûr.
C'est alors que le comte Vivien, Abbé laïc de St Martin de Tours, promit aux moines de Déas la petite abbaye de Cunault, près de Saumur, sur les bords de la Loire. Les moines commencèrent à s'y installer. Laissant le lourd sarcophage de Philibert à Déas, ils prirent seulement les reliques dans un sac de cuir et les installèrent à Cunault. Hélas, les Normands remontèrent la Loire.
Quatre ans après l'arrivée à Cunault, les moines s'installèrent de nouveau à Messais en Poitou, près de Châtellerault, dans un domaine concédé par Charles le Chauve. Pendant le transfert des reliques de St Philibert, les miracles, selon le moine Ermentaire, s'étaient multipliés. Peu après, le chroniqueur devait interrompre son récit, car, devenu Abbé de Messais vers 862, il eut d'autres tâches à accomplir.
C'est Falcon, moine de Tournus, qui, à la fin du XIe siècle, nous permet de suivre la suite de la translation des reliques de St Philibert. En effet, le Poitou était à son tour menacé par les Normands. Charles le Chauve, très favorable aux moines, leur donne d'abord le lieu de Goudet près du Puy en Velay pour construire un monastère.
Puis le 30 octobre 871, il leur concède l'abbaye de St Pourçain en Auvergne dans l'Allier avec toutes ses dépendances. L'Abbé était alors Geilon, fils du comte du même nom, remarquable organisateur et fort riche qui sans doute donna à son abbaye le fameux flabellum (grand éventail liturgique qui permet- tait d'éloigner les mouches et de tempérer la chaleur pendant les offices).
Au cours de ses voyages, il découvrit le monastère de Tournus où quelques moines résidaient et qui était protégé par un castrum contre toute attaque. Il va alors trouver le roi Charles à St Denis, et ce dernier, le 19 mars 875, concède comme refuge aux moines de St Philibert l'abbaye St Valérien de Tournus, avec le château et toutes ses dépendances.
Les moines s'y fixèrent définitivement, renonçant à réintégrer Noirmoutier qui devint, comme Déas et Cunault, simple dépendance de Tournus.
Les reliques de St Philibert furent alors installées dans cette église qui, agrandie aux XIe et XIIe siècles, prendra le nom de St Philibert de Tournus. Ainsi s'achève le long et laborieux exode des moines de Noirmoutier qui dura une quarantaine d'années.
En raison des pérégrinations connues par les reliques de St Philibert, les lieux de son culte sont très nombreux en France. On dénombre une soixantaine d'églises qui portent son nom. Il est représenté, tantôt en moine prédicateur, tantôt en Abbé revêtu de ses insignes, tantôt en constructeur de monastères ou en fondateur d'Ordre religieux.