L'ABBE DU MONT-SAINT-MICHEL (1154-1186)
C'est ainsi que le 27 mai 1154, Robert de Torigni est élu à l'unanimité Abbé du Mont-Saint-Michel. Il est alors âgé de quarante-huit ans. Le 22 juillet, jour de fête de Ste Marie-Madeleine, il est béni à St Philibert de Montfort, par Herbert, évêque d'Avranches et Gérard, évêque de Sées, en présence des Abbés Roger, du Bec, Michel, de Préaux, et Hugues, de Saint-Sauveur-le-Vicomte.
Tout d'abord, il essaya de ramener la paix morale au sein de la communauté, troublée par les désordres des années qui avaient précédé sa venue au Mont, à propos de l'élection de l'Abbé, contestée par le jeune duc Henri. Dom Le Roy nous dit « qu'il était régulier au dernier point en l'observance de la règle de St Benoît et la faisait inviolablement observer par ses moines. » Il rétablit donc une stricte discipline. Mais il semble qu'elle ne fut pas aussi rigoureuse qu'au Bec-Hellouin. Du moins, il ne poussa pas à l'extrême pénitences et privations. Certaines fêtes, l'anniversaire de l'Abbé par exemple, étaient l'occasion d'une amélioration de l'ordinaire de la communauté : les moines recevaient ce jour-là, en plus grande abondance, nourriture, pain et vin.
Cette régularité sans excès explique aussi l'empressement d'un bon nombre de seigneurs de la région à revêtir l'habit monastique au Mont, apportant avec eux leurs biens en totalité ou en partie.
Nous ne savons pas grand'chose sur ses relations avec les frères de la communauté. Mais, ce qui est certain, le nombre des moines augmenta considérablement sous son abbatiat, passant de quarante à soixante, ce qui n'est pas peu de choses ! C'est sans doute sa bonne administration dans le domaine temporel qui permit, petit à petit, d'assurer la subsistance de vingt moines de plus. Par ailleurs, personne ne se serait présenté au noviciat s'il n'avait pu trouver au Mont un Abbé accueillant, apte à bien diriger les coeurs vers Dieu, à former une communauté fervente et heureuse.
Dans la vie ordinaire, l'observance était assurèment proche de celle des autres monastères bénédictins. Lever quotidien pour les vigiles (matines) entre une heure et trois heures du matin, selon les saisons et le degré des fêtes célébrées. Il y avait probablement au Mont deux messes de communauté par jour, dûment chantées (la messe n'était pas quotidienne chez les Chartreux, et elle pouvait être omise chez les Cisterciens dans la période des grands travaux agricoles). Si les offices en commun étaient plus longs que dans les Ordres nouveaux, le silence par contre n'était pas aussi rigoureux. Assurèment, des « colloques » permettaient aux religieux du Mont de s'entretenir parfois ensemble. Mais, comme partout, et comme le veut la Règle de St Benoît, les moines dormaient dans un dortoir commun, proche de l'église.
Le travail de la terre que les moines de quelques ordres nouveaux remettaient à l'honneur, n'était plus guère pratiqué par les Bénédictins de la vieille école, absorbés par de trop longs offices liturgiques. Et, au Mont, quel lopin de terre aurait-on pu cultiver avec profit ? De toute manière, l'Abbé du Mont se rattache à l'authentique tradition monastique qu'il a connue au Bec et que l'on pratique également à Cluny. C'est pourquoi, il ne comprend pas tout à fait l'esprit du nouveau monachisme représenté par St Bernard et l'Ordre cistercien. Cependant, il manifeste une grande admiration pour St Bernard et surtout pour son oeuvre écrite, également pour les Chartreux, les chanoines réguliers : en particulier, Hugues de St Victor, pour ses nombreux ouvrages certes, mais aussi pour la simplicité de sa vie religieuse.