PIERRE LE VENERABLE, le dernier des grands Abbés de Cluny
Entré très jeune dans la vie monastique et ayant reçu une solide formation, Pierre le Vénérable est élu Abbé en 1122 dans des circonstances troublées, confronté à son prédécesseur Pons de Melgueil et à ses partisans. De plus, à ce moment-là, devant l'apparition de nouvelles formes de vie monastique, notamment celle de Cîteaux, et leurs prétentions à une vie plus évangélique, il va savoir réformer sa communauté avec sagesse, l'assainir dans son économie et la maintenir dans un état de grande ferveur selon l'esprit des premiers Abbés de Cluny. Enfin, par son ouverture d'esprit et sa charité, il va accueillir Pierre Abélard, violemment attaqué par St Bernard et condamné au concile de Sens en 1140 pour les propos de ses écrits jugés non conformes à la saine doctrine de l'Eglise.
SES ORIGINES, SES ANNEES DE FORMATION.
Né ves 1094, Pierre de Montboissier, dit le Vénérable (1), est issu d'une famille seigneuriale d'Auvergne, appartenant à l'aristocratie. Dès son enfance, il est offert par ses parents comme oblat à l'abbaye de Sauxcillanges, voisine du domaine de Montboissier dont les seigneurs sont depuis longtemps les bienfaiteurs. C'est là qu'il acquiert les fondements d'une vaste et solide culture littéraire dont témoignent ses ouvrages. Selon la coutume des monastères rattachés à Cluny, Pierre se rend à l'abbaye-mère pour y faire sa profession monastique.C'est à Pâques 1109, peu de temps avant la mort de l'Abbé Hugues. Il y passe sans doute quelque temps avant de revenir à Sauxillanges, près de Clermont-Ferrand.
Quelque temps après, il est nommé à Vézelay par le nouvel Abbé Pons de Melgueil. Malgré son jeune âge, nous dit son biographe Raoul de Sully, il y exerce les fonctions de maître d'école et de prieur claustral, entre 1116 et 1120. Il dut s'acquitter de ses charges de façon satisfaisante puisque dès 1120 il est nommé prieur de Domène dans le Dauphiné près de Grenoble. Là, il entretient avec ses nouveaux voisins, les chartreux, de bonnes relations qu'il gardera toute sa vie. Le gouvernement de cet humble prieuré qui ne comptait qu'une dizaine de religieux le prépare à sa tâche future.
LE NEUVIEME ABBE DE CLUNY (1122-1156) : une succession mouvementée.
A Cluny, le successeur de St Hugues, Pons de Melgueil, après quelques années d'un bon gouvernement, se heurte à des difficultés croissantes. Comme il se montre prodigue et versatile, ses moines finissent par demander sa démission à Rome. Apprenant cela, Pons se précipite à Rome dans des conditions qui ne sont pas claires, se démet plus ou moins volontairement de sa charge d'Abbé. Le pape Calixte II informe alors les moines clunisiens qu'il leur faut choisir un nouvel Abbé. Après la mort prématurée de l'Abbé Hugues II, les moines se rattachant à Cluny se réunissent à nouveau en chapitre conventuel. Parmi eux, se trouve Pierre de Montboissier, alors prieur de Domène. Dès que les moines l'aperçoivent, ils l'acclament comme l'envoyé de Dieu et le choisissent comme Abbé.
Elu Abbé le 22 Août 1122 à l'âge de trente ans, Pierre reçoit la bénédiction abbatiale des mains d'Anséri, évêque de Besançon. Il affronte alors la grande épreuve de sa vie. En effet, les débuts de son abbatiat furent troublés par les remous issus du gouvernement de l'Abbé Pons qui eut encore l'audace, en son absence, de se présenter devant Cluny à la tête d'une petite armée. Celle-ci mit à sac l'abbaye. Pons est alors convoqué à Rome et condamné. Il meurt misérablement en prison, emporté par la peste. Son corps sera ramené à Cluny.
(1) Appellation qui lui fut donnée par l'empereur d'Allemagne, Frédéric Barberousse, en 1153
Pierre le Vénérable, conscient de la gravité de la situation, se met, sans tarder, à l'écoute de ses moines, partage leur vie liturgique et régulière, pour découvrir de l'intérieur les difficultés d'une comunauté divisée et en pleine crise économique. Voici ce qu'il nous rapporte, vingt-six ans après son entrée en charge : « J'ai trouvé alors une église grande, religieuse, illustre, mais très pauvre. Les dépenses étaient considérables ; les revenus, comparés aux dépenses, presque nuls. La maison comptait plus de trois cents frères, alors que de ses propres ressources elle en pouvait nourrir à peine cent. La récolte rassemblée de tous les doyennés était consommée dans l'espace de quatre mois et parfois de trois. Le vin récolté d'un peu partout ne suffisait jamais pour deux mois et parfois même pour un seul. » Ceci nous étonne, vu la quantité de terres, de domaines appartenant à Cluny. Au temps de l'Abbé Hugues, l'abbaye recevait plus d'argent qu'elle en avait besoin. Mais lorsque Pierre prit en mains les affaires de la communauté, leur état était lamentable. A cette époque, l'Europe passait d'un système d'économie domaniale, fondé sur le bon rendement et les rapports des revenus en nature, à un système monétaire qui faisait son entrée dans le monde commercial.
Pierre le Vénérable intervint donc à partir de 1130 afin de réorganiser la gestion. Il renforça en particulier les pouvoirs du cellérier sur les régisseurs laïques qui abusaient de leur situation et gardaient pour eux une grande part des profits. Mais, surtout, il enjoignit de diminuer le plus possible le volume des produits agricoles commercialisés et donc d'en revenir à une économie visant à se suffire sur place. Ce qui obligea à rationaliser la production à partir du couple vin-céréales et à répartir les cultures selon la nature des terroirs. Pour cela, s'inspirant du système des moines cisterciens, il multiplia les convers, religieux illettrés, d'origine paysane, qui coûtent moins cher à entretenir que la main-d'oeuvre laïque ou les tenanciers.
Dans cette oeuvre, il fut conseillé et assisté par l'évêque de Winchester en Angleterre, Henri, frère du roi Etienne de Blois, qui s'est retiré à Cluny et qui met à la disposition de la communauté sa fortune immense, accrue du trésor de son église épiscopale.