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Jean de Fécamp
JEAN DE FECAMP,
un maître de la vie spirituelle au XIè siècle
Au début du XX" siècle, Jean de Fécamp était encore un inconnu. Cependant son existence n'a pas échappé à Dom Jean Mabillon au XVIIe siècle. Ce dernier rapporte dans ses Annales des passages nombreux qui touchent à la vie de Jean de Fécamp et à ses œuvres.
Mais c'est Dom André Wilmart vers 1930 qui a réussi à faire sortir de l'ombre ce moine oublié et à montrer qu'il s'agissait en sa personne du " plus grand auteur spirituel avant St Bernard ". Du moins, par son érudition et son travail acharné, il est parvenu à démêler l'écheveau embrouillé de ses œuvres qui avaient été attribuées à celles des écrivains les plus illustres comme St Augustin, St Anselme, Cassien et Alcuin.
Plus près de nous, l'œuvre de Dom Wilmart fut complétée et mise à jour par Dom Jean Leclercq qui publia avec la collaboration de Jean-Paul Bonnes en 1946, chez Vrin, "Un maitre de la vie spirituelle au XIe siècle : Jean de Fécamp. "
SES ORIGINES - SES ANNÉES DE FORMATION
Jean de Fécamp naquit dans la région de Ravenne en Italie à la fin du Xè siècle, vers 990. Son enfance et son adolescence nous sont mal connues, Il entra, semble-t-il, tout jeune dans la vie monastique sous sa forme de vie érémitique telle qu'elle était pratiquée, à ce moment-là, par St Romuald, puis St Pierre Damien. Il était le neveu du bienheureux Guillaume de Volpiano, réformateur du monachisme en Italie du Nord, en Bourgogne, en Lorraine et Normandie. Il en devint bientôt le disciple préféré. Il suivit son oncle et son maître lorsque celui-ci, du monastère de Fruttuaria, en Italie, vint fonder celui de St Bénigne de Dijon dont il resta l'Abbé. Jean y demeura près de lui. Il reçut de lui sa formation littéraire et musicale. Puis, vers 1017, il fut envoyé au monastère de la Trinité de Fécamp pour y remplacer le prieur Thierry que Guillaume venait de placer sur le siège abbatial de Jumièges. Jean gouverna le monastère en qualité de prieur pendant une dizaine d'années.
LE DEUXIÈME ABBÉ DE FECAMP (1028-1078)
Après la démission de Guillaume de Volpiano comme Abbé de Fécamp et sa mort survenue le 1er janvier 1031, Jean en devint l'Abbé en 1028. Sa carrière abbatiale fut longue, elle dura une cinquantaine d'années. Malgré ses répugnances pour les affaires temporelles et son attrait pour la vie érémitique, il se révéla un bon administrateur. Les premières années furent difficiles. Il dut faire preuve de beaucoup de patience et de diplomatie pour récupérer et sauvegarder les biens de l'abbaye qui se trouvaient encore sous l'emprise des seigneurs laïcs. Par ailleurs, il y eut une terrible famine, accompagnée d'une épidémie de peste, suivie elle-même d'une autre famine en 1042.
Par sa fermeté, Jean réussit également à fédérer autour de son abbaye un certain nombre de monastères qu'il avait réformés et qui possédaient leur supérieur propre ; St Ouen de Rouen, Jumièges, Bernay...
Au milieu du XIe siècle, la situation politique et économique s'améliora.
Ses relations avec les Ducs de Normandie devinrent meilleures. Il fut, en particulier, le conseiller et l'ami de Guillaume le Conquérant. Il sut, par sa diplomatie, ménager au Duc l'appui du Saint Siège lors de l'expédition victorieuse d'Angleterre en 1066. Reconnaissant, le nouveau roi lui donna de nombreux fiefs outre-Manche, désigna un certain nombre de moines de Fécamp pour occuper les sièges épiscopaux et abbatiaux et fit imposer le voile à sa fille Cécile qui fut préposée à l'Abbaye-aux-Dames de Caen. Ce système de relations contribua à développer la seigneurie foncière de la communauté qui devint prospère et fut dotée d'une belle bibliothèque. A ce moment-là, l'effectif des religieux s'élevait à soixante ou soixante-dix, d'après les signatures de chartes par les moines.
Enfm, au sein de la communauté, Jean voulut être le père spirituel de ses moines. Il se savait responsable de ses brebis comme le bon pasteur. Il défendit ses moines même contre les évêques, quand il leur arrivait d'être condamnés injustement. Quelques-uns parmi eux, à la faveur peut-être d'une de ses absences prolongées, avaient sans son autorisation quitté le monastère pour aller vivre dans la solitude. Jeannelin n'hésita pas à leur faire des reproches et à les inviter à revenir au bercail. Du moins, il leur rappela leur devoir d'obéissance à la teneur de la Règle de St Benoît sous laquelle ils s'étaient engagés à militer.
Jusqu'à sa mort survenue le 22 février 1078, l'Abbé Jean de Fécamp paraît avoir tout subordonné, pratiquement, dans sa vie à son rôle de père spirituel. Sa grâce fut celle d'un contemplatif qui doit s'occuper des autres et les aider à vivre pour Dieu. Voici le portrait que nous a tracé de lui le chroniqueur anonyme de St Bénigne de Dijon :
" C'était un italien né dans la région de Ravenne, érudit dans les lettres et instruit dans l'art de la médecine sur l'ordre de son abbé, et plus que tout imitateur zélé de sa vie sainte, de sa doctrine et de toutes ses vertus. Sa petite taille l'avait fait surnommer ]eannelin, mais la grâce de l'humilité, de la sagesse, de la discrétion et des autres vertus brillait tellement en lui que ceux qui le voyaient se demandaient avec admiration comment dans un corps si menu débordaient à ce point les dons de la grâce divine. "
SES ÉCRITS ET SES SOURCES D'INSPIRATION
Par la diffusion de ses œuvres attribuées presque toujours à Saint Augustin, Jean de Fécamp connut au Moyen Âge une grande notoriété. Avec St Bernard, il fut l'un des auteurs les plus lus avant l'apparition de l'Imitation de Jésus-Christ au XVème siècle.
Il a laissé deux sortes d'écrits : les uns sont des opuscules variés : poèmes, lettres, prières comme celle connue sous le nom d'" Oraison de St Ambroise" qui servait de préparation à la messe dans le missel réformé par St Pie X.
Mais ses ouvrages les plus développés, les plus révélateurs de son style et de son influence, consistent en des livrets qui sont les rédactions successives d'une même et longue invocation à Dieu.
La première est une " Confession théologique " (Confessio theologica) composée avant 1018. Elle fut ensuite remaniée, complétée sous le titre de "livrets sur l'Ecriture et les paroles des Pères". Vers 1050, le même texte fut transformé en une " Confession de foi" (Confessio fidei), attribuée à Alcuin, où les éléments dogmatiques occupent une plus grande place. A tous ces textes on fit des extraits qui entrèrent dans le recueil des Méditations de St Anselme et surtout dans celles qui connurent une diffusion durable sous le nom de St Augustin.
Son œuvre principale est donc la Confession théologique (au sens de louange, d'action de grâces, dans la ligne des Confessions de St Augustin).
Elle comprend trois parties.
La première est une élévation ardente à la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
La deuxième partie est consacrée à l'Incarnation rédemptrice et aux implications du mystère du Christ.
La troisième partie, la plus longue, traite du désir de Dieu et des larmes, évoque le monde de l'enfer et surtout celui de la vie éternelle.
Parmi ses sources d'inspiration, la Bible tient la plus grande place. Précisément, la Confession théologique est tissée d'Écriture Sainte. On y trouve plus de 400 citations ou réminiscences scripturaires. Jean de Fécamp a une connaissance directe des textes. Chaque jour, comme tout vrai moine, il lit la Bible, la rumine et l'emmagasine dans sa mémoire.
Dans le choix de ses textes, il a des préférences. Ce sont d'abord les textes de St Jean, de celui qu'il appelle "le premier évangéliste ". Il est pour lui un maître et un modèle.
Pour des raisons semblables, il lit surtout dans St Paul les épîtres aux Romains, aux Ephésiens et aux Corinthiens.
Dans l'Ancien Testament, il apprécie par dessus tout les ardentes supplications des Psaumes (plus de 170 emprunts dans la seule Confession théologique) et les dialogues mystiques du Cantique des Cantiques.
Puis viennent les Pères de l'Église : surtout St Augustin et St Grégoire. D'ailleurs il lit la Bible comme la lisent les Pères. Il en vit comme eux, l'ayant apprise à leur école. Il leur doit des citations scripturaires, il leur emprunte des formules et un vocabulaire. A force de méditer leurs textes, il pense comme eux et écrit comme eux. Comme St Augustin, il désire la stabilité en Dieu, il éprouve une grande humilité en présence de Dieu, il a un amour ardent du Christ. De même avec St Grégoire, il cherche un certain contact avec Dieu, une connaissance intime, une expérience mystérieuse de la vérité divine.
Finalement, comme il le dit lui-même, au début de la deuxième partie de la Confession théologique: "Mes paroles sont les paroles des Pères" ("Dicta mea sunt Patrum ")
Et encore, Jean de Fécamp s'est plu à méditer les paroles de la liturgie. Ces textes - oraisons, antiennes, répons, versets, hymnes, préfaces - sont pour lui une sorte de nourriture préparée par l'Église. Il se plaît à reprendre les formules les plus denses et les plus lyriques que lui offre la liturgie, qui expriment tantôt le mystère du Christ : " En mourant, il a détruit notre mort et en ressuscitant il nous a rendu la vie" (Préface de Pâques), tantôt l'émerveillement de l'Incarnation: " 0 mystère admirable, ô échange ineffable" (Antienne de la Circoncision), tantôt l'attente impatiente : " Ne tarde pas" (Verset de la liturgie de l'Avent).