SES DERNIERES ANNÉES
Vers 796, presque septuagénaire, Alcuin se plaint à plusieurs reprises de sa vieillesse, de sa mauvaise santé. Les troubles qui désolent l'Angleterre le dissuadent de s'y retirer. Il aimerait finir ses jours au monastère de Fulda, près du tombeau de St Boniface, le grand évangélisateur des peuples germaniques, mais le souverain lui offre l'abbatiat de l'un des plus vénérables monastères du royaume, celui de St Martin de Tours. Là, il se remet au travail intellectuel avec courage et ardeur. Plus qu'un auteur, plus qu'un savant, il est devenu un maître. Il travaille intensément à l'amélioration de la langue latine et transmet ainsi l'héritage de Bède le Vénérable en composant une série de traités clairs et lisibles. Il met au point le sacramentaire et le lectionnaire romains dédiés à l'Église Franque. Il favorise la réforme de l'écriture et s'inspire des sources antiques ainsi que des sources récentes. Il révise et corrige le texte de la Bible qu'il offre à Charlemagne en 801 à l'anniversaire de son couronnement à Rome. Enfin, il aborde une étude choisie de quelques livres de la Bible, comme la Genèse, les Psaumes, St Matthieu et St Paul.
Une tâche plus ardue : il essaie de réformer la conduite de ses moines. Sa vie est des plus simples, attentive à l'administration du temporel, aux soins de l'école, au travail du scriptorium, à la prière. Quelques disciples venus d'Angleterre viennent se former auprès de lui et l'aider dans ses travaux. Parmi eux se trouve Raban Maur, moine du monastère de Fulda, futur précepteur de la Germanie. Mais pour mener à bien toutes ces activités, il lui faut des livres. « II me manque en partie, écrit-il à Charlemagne, les plus excellents livres de l'érudition scolastique que je m'étais procurés dans ma patrie, soit par les soins de mon maître Aelbert, soit par mes propres sueurs. Je dis à votre Seigneurie pour que votre constant amour de la sagesse vous inspire d'envoyer certains de mes élèves en Grande-Bretagne, d'où ils rapporteront en France toutes ces fleurs de Bretagne... Au matin de ma vie, j'ai semé dans la Bretagne les germes de la science ; maintenant sur le soir, et bien que mon sang soit refroidi, je ne cesse de les semer en France et j'espère qu'avec la garde de Dieu, ils prospéreront dans l'un et l'autre pays. Quant à moi, je me console en pensant, avec St Jérôme, que bien que tout le reste passe, la Sagesse demeure ; et que sa vigueur ne cesse d'augmenter. »
A mesure que son âge avance, il continue de rester en contact avec ses amis, en particulier ceux qu'il a connus à l'École du Palais, et surtout avec Charlemagne auquel il rend compte de ses activités de professeur. « Selon votre exhortation et votre sage volonté, je m'applique à servir aux uns, sous le toit de St Martin, le miel des Saintes Écritures ; j'essaie d'enivrer les autres du vieux vin des anciennes études ; je nourris ceux-ci des fruits de la science grammaticale; je tente de taire briller aux yeux de ceux-là l'ordre des astres... » A son tour, l'empereur ne cesse de lui écrire. Il lui demande des conseils et des éclaircissements sur les sujets les plus divers, allant du cycle lunaire à l'orthographe, de l'hérésie de Félix d'Urgel sur la nature du Christ, aux mathématiques.
Cependant, Alcuin se démet bientôt de ses fonctions d'Abbé pour se préparer à la mort. Dans plusieurs lettres, il aborde ce thème : il veut aller à la rencontre de son Seigneur, il attend avec confiance ce jour redoutable. Depuis quelque temps, il a choisi le lieu de son repos. Ce sera, par souci d'humilité, hors de l'église St Martin. Aveugle, il est encore capable de s'y rendre et de chanter une des merveilleuses antiennes qui précèdent la fête de Noël : « Ô clef de David. sceptre de la maison d'Israël, que nul ne saurait fermer. Toi, tu fermes cette maison et nul ne la peut ouvrir. Viens et fais sortir de sa prison l'homme enchaîné, assis dans les ténèbres, à l'ombre de la mort. »
Il avait toujours gardé la nostalgie de sa Northumbrie. A ses confrères d'York, il avait écrit : « Mes amis, plus chers que tout au monde, ne m'oubliez pas. je vous prie : mort ou vivant, je serai toujours vôtre. Dieu, dans sa clémence, permettra peut-être que vous, qui avez été si longtemps près de moi, vous ensevelissiez le vieillard que je suis. Mais, même si mon corps devait reposer ailleurs, je pense que c'est parmi vous que reposera mon âme, grâce à l'intercession de vos saintes prières. »
Le nom d'Alcuin nous rappelle aussi celui de Bède le Vénérable. En effet, tous deux sont originaires de Northumbrie, tous deux les hommes les plus savants de leur génération. Bède, de rang plus modeste, tout entier à son labeur monastique, penché sur ses livres d'histoire. Alcuin, homme de Cour, de direction, d'influence, et lumière d'un renouveau culturel. Tous deux en quête de la sagesse, la vraie, celle qui ne connaît pas de système, mais qui est goût de Dieu.